Le grenier : miroir du passé, fenêtre sur l’imaginaire

Sommaire
Qu’il évoque la nostalgie ou réveille nos angoisses, le grenier ne laisse personne indifférent. À la fois dépôt d’objets et gardien de souvenirs, il est autant un refuge pour nos blessures passées qu’un terrain propice à l’imaginaire. Mais que racontent ces malles poussiéreuses et ces cartons oubliés ? Que révèlent-ils de ceux qui les ont laissés là, de leur histoire et de leurs rêves inachevés ?
Le grenier, entrepôt de nos souvenirs
Protéger les récoltes
Dans l’Antiquité, ce grenier à grains était un lieu stratégique qui garantissait la survie des familles et des villages. Jusqu’au Moyen Âge, il reste une simple réserve, où l’on entrepose les vivres à l’abri des intempéries et des nuisibles.
Protéger nos souvenirs
Ce n’est qu’avec l’urbanisation croissante et l’amélioration des techniques architecturales qu’on réinvente le grenier. Un peu comme la cave, le grenier devient alors un espace polyvalent où l’on stocke des objets précieux, des archives, des vêtements de saison, parfois même des armes.
Un lieu intimiste, propice aux confidences et à l’introspection
Capsule temporelle
Car comment ne pas rouvrir avec émotion cette lettre de notre premier amour ? Capsule temporelle de notre adolescence, cet objet n’est plus une simple feuille A4, c’est un fragment du passé, une machine à remonter le temps telle la DeLorean de Retour vers le futur. Sans quitter le sol poussiéreux du grenier, on se retrouve alors propulsé dans un espace-temps révolu en sentant à nouveau son parfum encore imprégné sur le papier froissé.
Une douce nostalgie dont parle Clara, à l’évocation du grenier de ses parents :
“Dans le grenier de mes parents, il y a tous mes jouets d'enfance et ceux de mes frères. Il y a aussi les décorations de Noël. Si je ferme les yeux et que j'y pense, je vois plutôt une pièce lumineuse, du blanc avec une petite lucarne et plein de choses dans les recoins. C'est un lieu où tu as envie de t'attarder pour plonger dans les souvenirs. C'est plutôt gai, en somme.”
Lieu de l’intime propice à l’introspection
Le grenier ne stocke en effet pas seulement des objets, il est également un fragment de nous-mêmes, de nos espoirs ou de nos regrets.
Il n’y à qu’à voir les invités de Frédéric Lopez dans l’émission “La parenthèse inattendue”, qui replongent avec émotion dans leurs souvenirs d’enfance au milieu d’albums de Tintin ou de figurines Star Trek dans ce grenier aménagé qui leur sert de confessionnal.
Mais le grenier ne regorge pas que de souvenirs heureux, il porte aussi son lot de peurs et d’inquiétudes, comme l’évoque Elise :
“Pour moi, un grenier ça m'évoque tout de suite un lieu sombre, terrifiant, où l’on peut tomber à tout moment sur un monstre tapi dans l'ombre !”.
À l'instar d’un feu de camp sous les étoiles, le grenier est propice à l’introspection. Et si se rapprocher un peu plus du ciel, en grimpant dans cet espace perché, nous offrait un nouveau point de vue pour mieux rêver ? Comme si prendre de la hauteur, au sens propre comme au figuré, nous offrait une perspective nouvelle sur nous-mêmes et notre histoire.
Le grenier : territoire de l’imaginaire
Le lieu des possibles
Si le grenier prête à rêver, c’est peut-être précisément parce qu’il échappe à toute fonction rigide. Ni pièce de vie, ni simple débarras, il est un entre-deux, un espace libre de contraintes, où l’ordre du quotidien laisse place au désordre fertile de l’imagination.
C’est un espace fourre-tout, un sanctuaire du passé où s’accumulent les souvenirs, les objets du quotidien relégués, les projets laissés en suspens. Ce que l’on n’a pas voulu jeter mais que l’on ne peut plus intégrer à notre présent s’y empile, créant un bric-à-brac singulier où chaque carton, chaque malle cache une histoire à raconter.
Mais si le grenier est une réserve du passé, il est aussi un territoire de tous les possibles à venir : un espace en attente de réinvention, où l’on peut tout imaginer… surtout quand on est enfant.
Un territoire à réinventer
Pour les enfants, le grenier n’est pas un simple espace de stockage : il devient un terrain de jeu infini, un décor changeant qui se transforme au gré de leurs histoires. C’est là que l’on se déguise, que l’on joue aux pirates ou aux chevaliers, que l’on transforme de vieux draps en capes, que l’on construit des cabanes entre les malles empilées.
Dans le film Les Goonies, c’est dans un grenier que les enfants découvrent une vieille carte au trésor, amorçant une quête qui changera leur vie. Le grenier devient un passage vers l’inconnu, une transition entre l’enfance et l’exploration du monde.
Clara partage ce sentiment :
Longtemps délaissés, les combles sous les toits s’imposent désormais comme un véritable espace de vie. De plus en plus de propriétaires choisissent de les réaménager pour optimiser leur surface habitable : bureau, atelier d’artiste, studio indépendant ou encore dortoir familial. Si le grenier d’origine perd un peu de son aura, il gagne en fonctionnalité et devient un atout majeur, notamment en cas de revente.
Le film Jumanji revisite également l’identité du grenier. C’est dans cet espace secret, à l’abri du regard des adultes, que les enfants, Peter et Judy, découvrent un mystérieux jeu…
D’ailleurs, bien avant le cinéma et les séries, le grenier s’était déjà imposé comme un lieu initiatique dans les contes et récits légendaires. Dans la littérature, il est souvent un espace de transformation, où les héros font des découvertes qui changent leur destinée. Un coffre oublié renferme un secret de famille, un vieux grimoire dévoile un savoir ancien, un miroir poussiéreux ouvre sur un autre monde.
Ce côté secret, c’est justement ce que redoute Elise :
“Dans les films, le grenier est aussi souvent ce lieu où l'on découvre des secrets de famille enfouis, dissimulés dans de vieilles malles ou des cartons oubliés...”
Mais derrière le secret, n’y a-t-il pas aussi la promesse d’une révélation salvatrice, d’une meilleure compréhension de soi-même ? Dans La Poétique de l’Espace (1957), le philosophe Gaston Bachelard corrobore cette idée, en décrivant le grenier comme un espace de lumière et de clarté intellectuelle : « Dans le grenier, on voit à nu, avec plaisir, la forte ossature de charpentes. »
Alexandra partage sa précieuse découverte dans le grenier de ses grands-parents :
*“J’ai toujours aimé monter dans le grenier de mes grands-parents pour y chasser des trésors. J’ai ainsi redonné vie à une radio des années 1920, récupéré une glacière en bois fabriquée par mon grand-père et, plus récemment… une Vierge de 80 cm de haut ! Un jour, la Vierge s’est brisée en mille morceaux. Elle devait être jetée, mais mon grand-père n’a pas pu s’y résoudre. Il a alors pris un temps immense pour lui redonner vie. Sa restauration a été si minutieuse qu’on ne peut même pas deviner qu’elle avait été brisée. Après avoir retrouvé sa place dans l’église durant quelques années, elle a finalement rejoint le grenier à la mort de mon grand-père. Un jour, j’ai demandé à ma grand-mère si je pouvais la récupérer. Elle a ri : “Que vas-tu faire d’une Vierge chez toi ?” “La mettre dans mon bureau !” C’était une évidence. Depuis, je la regarde chaque jour, comme si elle était habitée. Peut-être que j’y cherche aussi la présence de mon grand-père, que j’ai tant aimé et admiré…*
Oser s’aventurer au grenier pour aller déterrer des souvenirs oubliés, ne serait-ce finalement pas un acte courageux pour mettre de la lumière sur son histoire personnelle et mieux comprendre qui nous sommes ?
Tour à tour nostalgique, angoissant ou palpitant, le grenier est le reflet d’un imaginaire propre à chacun. Mémoire de notre passé, il permet néanmoins de saisir ce que nous avons été et d’entrevoir ce que nous pourrions devenir, ouvrant ainsi la voie à une quête intérieure.